MANIFEST

Lettre de x - Considérations sur situation

Title:
Lettre de x - Considérations sur situation
Recipient:
Antoine-Charles Du Houx, Baron de Vioménil
Date Created:
1781-02-04
Location:
Frescati, Lazia, Italy
Source Identifier:
140

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Frescati le 2 avril 1781

J’ay reçu, mon cher baron, deux jours avant mon départ de Paris votre lettre qui m’a été remise par M. de Corny , je suis enchanté du bon état de votre santé actuelle, et j’espère qu’elle se soutiendra, et que vous n’éprouverez les atteintes de ce rhumatisme, qui vous a si fort tourmenté, et vous a rendu si malade. Vous ne rendriez pas justice, mon cher baron, si vous n’étiez pas bien persuadé de l’intérêt vif et sincère que je prens à ce qui vous regarde. Nous parlons souvent de vous la marquise de Laval et moi, et c’est pour nous un grand point de tranquilité que de scavoir le mquis de Laval avec vous. Je crois, mon cher baron, que vous êtes tous bien impatientés de l’inaction, où on vous force de rester par le défaut de secours, je ne voye pas qu’on se dispose à vous en envoyer, on ne parle même plus du tout de faire partir la seconde division de troupes, qu’on vous avait promise. Je crains bien que M. de Rochambeau n’ait fait choix dans son fils d’un pauvre négociateur, il me semble qu’il s’y prend assez mal, et je doute fort qu’il n’obtienne rien de ce qu’on l’a chargé de demander. Je crois que tous les secours qu’on veut vous envoyer se bornerons à de l’argent et à quelques recrües pour complèter votre


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petite et très petite armée Je ne comprens pas trop quel peut être le système de la cour à cet égard, il faut croire qu’on a de bonnes raisons, mais j’avoüe que ma politique est trop bornée pour pouvoir les deviner. Il me semble qu’il vaudrait beaucoup mieux laisser les américains à leurs propres forces, que de ne les secourir qu’à demi et infructueusement. des secours insuffisants coutent toujours beaucoup d’argent, et la dépense est en pure perte. Il y a longtems qu’on accuse le cabinet de Versailles de ne jamais faire les choses qu’à demi, et je meurs de peur que dans la circonstance présente, cette accusation ne soit plus fondée que jamais. Au reste il faut convenir que les espagnols ne font pas mieux que nous : ils dépensent énormément d’argent à leur prétendu blocus de Gibraltar , que les anglais ne manqueront pas de ravitailler lorsque cela [sera] nécessaire, et il ne résultera de cette belle opération que la perte de beaucoup de tems, beaucoup d’hommes et beaucoup d’argent, la nation se couvrira d’ailleurs de ridicule. Je crois que lord North se moque bien d’eux et de nous.


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Sa conduite est bien différente au commencement de cette guerre les anglais paraissaient toucher à leur perte, et chaque année leur position devient meilleure. Sans aucun allié, ils font face à tout, et loin d’éprouver des pertes, ils ruinent le commerce de tous leurs ennemis, et finiront peut-être à leur dicter la paix qu’ils voudront bien leur accorder. Je suis, mon cher baron, trop bon français pour n’être pas également affligé et humilié du peu de succès que nous avons dans une guerre, où nous paraissions avoir si beau jeu. Quelle en sera la fin ? Je n’ose y penser. Mes idées sont si noires à cet égard, que je crains de m’y arrêter. Vous êtes sans doute instruit à présent de tous les changements qui se sont faits dans notre ministère. On est persuadé qu’il s’en fera encore beaucoup d’autres d’icy à peu de tems, ce qui est toujours au détriment de ce pauvre royaume fait pour être le plus florissant de l’Europe, et qui dégénère tous les jours de son ancienne splendeur. Ce qui me console de tout, mon cher baron, c’est que, votre simulacre d’armée étant trop faible pour rien entreprendre, vous resterez dans l’inaction, vous ne courerez aucun risque, et vous ne nous donnerez de sujet d’inquiétude, que ceux, qui sont inséparables de


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l’absence et d’un éloignement de deux mille lieues. L’air que vous respirez est bon et sain, et j’espère que vous nous reviendrez bien portants, et si ce n’est couverts de gloire et de lauriers, du moins en ayant fait tout ce qui était en vous pour en acquérir. Ce n’aura pas été votre faute si on vous en a refusé les moyens, vous avez fait acte de bonne volonté : que pouviez vous de plus ? Adieu, mon cher baron, recevez les nouvelles et sincères assurances de mon tendre et inviolable attachement.

Mille compliments à monsieur votre frère et au chevr de Chastellux , je ne vous dit rien pour le mquis de Laval , parce que je luy écris aussi.


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Frescati April 2, 1781

I received, my dear baron, two days before my departure
from Paris your letter which was given to me by M. de Corny,
I am delighted with the good state of your health at present, and I hope that you will not suffer from the rheumatism
which has tormented you so much, and made
you so ill. You would not be doing justice, my dear Baron,
if you were not well persuaded of the keen and sincere interest
I take in what concerns you. We often talk about you,
the Marquise de Laval and I, and it is a great point
of tranquility for us to know that
the Marquis de Laval with you. I believe, my dear Baron
that you are all very impatient with the inaction in which you are forced
to remain by the lack of help.
I don't see that they are disposed to send you any; there is not
even talk at all about sending out the second division of troops
which they had promised you. I fear
that M. de Rochambeau has chosen in his son a poor
negotiator; it seems to me that he is doing it rather badly,
and I doubt very much that he will get anything out of what he has been
what he has been asked to do. I believe that all the help
they want to send you, will be limited to money
and a few recruits to complete your work.


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small and very small army. I do not understand
what the court's system is in this respect,
it is necessary to believe that one has good reasons, but
I avoid that my politics are too limited to be able
to guess them. It seems to me that it would be
much better to leave the Americans to
their own forces, than to help them only half-heartedly
and unsuccessfully. Insufficient help always costs a lot of money
and the expense is
a pure loss. For a long time the cabinet of Versailles has been accused of
never doing things more than halfway
and I die of fear that in the present circumstance, this accusation
is more founded than ever.
In addition, it must be agreed that the Spaniards
do no better than we do: they spend an enormous amount of money
on their so-called blockade of Gibraltar,
which the English will not fail to supply when
necessary, and the only result of this beautiful operation will be the loss
of a lot of time, many men and much money,
the nation will be covered with ridicule. I believe that
Lord North is making a fool of them and of us.


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Its conduct is quite different at the beginning
of this war the English seemed to be touching their loss
and every year their position becomes
better. Without any ally, they face everything,
and far from suffering losses, they ruin the trade
of all their enemies, and will perhaps end up dictating
the peace they will want to grant them.
I am, my dear baron, too good a Frenchman
not be equally distressed and humiliated by the little success
that we have in a war, where we
seemed to have so much at stake. What will be the end of it?
I dare not think about it. My ideas are so dark in this respect,
that I am afraid to dwell on it. You are undoubtedly
now aware of all the changes that have taken place in our
ministry. We are convinced that there will be many more
from now until soon,
which is always to the detriment of this poor kingdom
made to be the most flourishing in Europe, and which
degenerates every day from its former splendor.
What consoles me in all this, my dear baron, is that, your
army is too weak to undertake anything,
you will remain in inaction, you will not run any risk
and you will give us no cause for concern
only those which are inseparable from the


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absence and a distance of two thousand leagues.
The air you breathe is good and healthy, and I hope you will return
to us in good health, and if not
covered with glory and laurels, at least having
having done all that was in you to acquire them. It was not your fault
if you were denied the means,
you made an act of good will: what more could you have done?
Farewell, my dear baron, receive the new and sincere
assurances of my tender and inviolable attachment.

A thousand compliments to your brother and to the chevr de Chastelux, I am not telling you anything
about the Mquis de Laval, because I am also writing to him.